Ecoutez-moi, s’il vous plaît, je vais vous raconter pour votre plaisir, qui étaient Renart et Ysengrin, - c’est le fruit de mes lectures, - et comment ils vinrent au monde. J’ai trouvé autrefois, dans un coffre, un livre intitulé Aucupre. J’y ai appris beaucoup de choses, en particulier sur Renart : il n’y a pas de raison de les taire et il faut bien oser en parler. Une grande lettre vermeille marquait le début d’un chapitre qui racontait une aventure vraiment surprenante ; si je ne l’avais pas lue, j’aurais cru ivre quiconque me l’eût rapportée. Mais il faut croire ce qui est écrit. Et il est juste que meurt déshonoré celui qui n’aime pas les livres et ne leur fait pas confiance.

Aucupre rapporte donc dans ce chapitre (Que Dieu bénisse son auteur !) comment Dieu chassa Adam et Eve du Paradis parce qu’ils avaient désobéi à ses commandements, puis comment Il eut pitié d’eux et leur donna une baguette en  leur disant qu’ils n’auraient qu’à en frapper la mer dès qu’ils auraient besoin de quelque chose. Alors, Adam, prenant la baguette, frappe la mer sous les yeux d’Eve. Aussitôt, en surgit une brebis.

 
            Or oiez, si ne vos anuit !

Je vos conterai par deduit

Comment il vindrent en avant,

Si con je l’ai trouvé lisant,

Qui fu Renart et Ysengrin.

Je trovai ja en un escrin

Un livre, Aucupre avoit non :

La trovai ge mainte raison

Et de Renart et d’autre chose

Dont l’en doit bien parler et ose.

A une grant letre vermoille

Trovai une molt grant mervoille.

Se je ne la trovasse ou livre,

Je tenisse celui a ivre

Qui dite eüst tele aventure :

Mes l’en doit croire l’escriture.

A desonor muert a bon droit

Qui n’aime livre ne ne croit.

Aucupres dit en cele letre

(Bien ait de Dieu qui l’i sot metre !)

Come Diex ot de paradis

Et Adam et Evain fors mis

por ce qu’il orent trespassé

ce qu’il lor avoit commandé.

Pitié l’en prist, si lor dona

Une verge, si lor mostra,

Qant il de rien mestier auroient,

De cele verge en mer feroient.

Adam tint la verge en sa main,

En mer feri devant Evain :

Sitost con en la mer feri,

Une brebiz fors en issi.

Roman de Renart, Branche XXIV, vers 1-31

1. Souligne les mots qui ont la même orthographe en ancien français qu’en français moderne.

2. D’autres mots ont une orthographe un peu différente mais sont facilement reconnaissables. Cites-en cinq :

3. Parfois, le même mot a deux orthographes différentes.

Donne deux exemples :

Peux-tu imaginer pourquoi ? (deux raisons)

-

-

4. Par quels mots ont été traduits les mots suivants :

- un escrin (v.6) =

- mestier (v.27) =

Ces mots existent-ils toujours en français moderne ? Peux-tu imaginer quelle a été l’évolution du sens de ces mots ?