TEXTE N°1
Rabelais, Gargantua, chapitre 23
1) Situation dans l’œuvre, Gargantua :
Le roi Grandgousier souhaite que son fils Gargantua développe ses dons naturels auprès d’un savant maître.
Gargantua est d’abord soumis à des méthodes archaïques déplorables qui s’avèrent inefficaces : il devient « fat, niais et ignorant ». Puis il est confié à Ponocratès dont le nom signifie « dur à la tâche », qui juge d’abord des méfaits des méthodes sophistes (texte extrait du chapitre 21) et le soumet ensuite à des méthodes rationnelles et modernes (texte extrait du chapitre 23).
2) Après avoir lu ces deux textes, dites lequel vous préférez et pourquoi.
Cette question a donné lieu à un débat oral autour du thème de la liberté ou la contrainte dans l’éducation.
3) Lecture découverte du texte : les premiers constats :
Dans le texte extrait du chapitre 23, Ponocratès prend le contre-pied des précepteurs sophistes dont la pratique éducative laisse à désirer.
a- Le nouveau régime de Gargantua
Le texte s’articule au rythme des activités de la journée :
- L3 : lever
- L4-16 : toilette soigneuse et lecture
- L17 : lecture
- L18-26 :exercices physiques puis toilette
- L27-41 : repas, occasion d’observations et de discussions
- L41-42 : ablutions et prières
- L44-48 : nouveaux apprentissages par le jeu (l’arithmétique)
b- Ce qui ressort de cet emploi du temps :
- l’exercice physique suit, précède et accompagne celui de l’esprit : « mens sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain).
- Le souci du temps, la régularité des activités = repère pour l’élève
Þ L’idéal humain de Rabelais est ainsi défini : l’homme complet respecte et développe son corps et son esprit.
3) Relecture et interprétation du texte de Rabelais :
a- L’argumentation dans un texte narratif :
Après la lecture découverte de samedi, nous allons nous attacher à faire une relecture du texte en voyant en quoi cette fiction véhicule une argumentation.
A travers la comparaison des deux textes, nous avons vu qu’il y avait une opposition entre deux méthodes éducatives. Rabelais nous présente sa méthode, on peut donc considérer qu’il la défend, en cela il s’agit d’une argumentation.
Définition du texte argumentatif :
Un texte argumentatif énonce une thèse que l’on justifie à l’aide d’arguments, soutenus par des exemples.
L’auteur cherche à convaincre l’interlocuteur de la justesse de son opinion et à le rallier à celle-ci.
Parfois, l’auteur est amené à combattre la thèse adverse.
Schéma correspondant :
Appliquons cet énoncé théorique au texte de Rabelais :
Il faut distinguer les exemples illustratifs des exemples argumentatifs.
Ces derniers présentent une situation particulière représentative d’un ensemble, ils peuvent à eux seuls servir d’arguments.
Ex : les Fables de la Fontaine.
b- Lecture analytique du texte :
Axe de lecture : quels éléments font que ce texte narratif développe une argumentation ?
1- les connecteurs logiques : ils nous renseignent sur le rythme de travail auquel est soumis Gargantua.
Le repérage des connecteurs logiques nous permet de voir qu’ils se rapportent au temps. Ils donnent l’idée d’une progression dans la journée (répétition des formules : « cela fait », « après »…).
2- le jeu des pronoms : il nous renseigne sur les différents personnages qui entrent en scène dans cet enseignement.
- le pronom « il » : il correspond à Gargantua. D’ailleurs quand on repère le nom propre dans le texte, on se rend compte qu’il se trouve à des positions stratégiques :
Au début de l’extrait pour mieux mettre en place les personnages.
Dans le cinquième paragraphe, on le trouve à deux reprises, à chaque fois il est question des résultats obtenus :
« Gargantua apprit en peu de temps tous les passages relatifs à ce sujet dans Pline, Athénée… ». Il est question de l’acquisition d’une culture encyclopédique avec l’énumération des noms d’auteurs antiques, tous naturalistes ou médecins. Cette énumération est mise en parallèle avec l’énumération des aliments dans la phrase précédente afin de montrer la richesse qui peut ressortir d’un aspect concret de la vie (la nourriture) et l’étroite relation entre le corps et l’esprit dans la pratique éducative.
« Gargantua retint si bien, si parfaitement ce qui se disait là-dessus qu’il n’y avait pas alors de médecin qui sût la moitié de ce qu’il savait ». Il est question de l’acquisition d’un savoir de spécialiste, en l’occurrence le médecin. Il faut noter que contrairement à leur fonction actuelle d’hommes de terrain, les médecins du XVIe siècle étaient des érudits et des intellectuels. L’emploi des intensifs (si…) montre à la fois la qualité et la quantité de savoir.
On peut ajouter à ces phrases concernant les résultats de Gargantua (arguments valables de Rabelais dont tout le talent est d’en parsemer le texte) la phrase de la ligne 46 : « De cette façon, il prit goût à la science des nombres ». Rabelais montre ainsi la valeur du jeu quand il est éducatif. Cette notion de goût nous ramène à celle de plaisir dont il serait intéressant de relever le champ lexical dans le texte.
- le pronom « on » : ce pronom impersonnel désigne les serviteurs du prince, il est beaucoup utilisé dans le deuxième paragraphe consacré à la toilette de Gargantua. Parmi les serviteurs, on compte le page (jeune noble placé au service d’un seigneur) Anagnostes. Cela nous rappelle qu’il s’agit d’un enseignement aristocratique : c’est au fils du roi qu’il est destiné.
- Le pronom « ils » : ce pronom englobe à la fois les maîtres savants et Gargantua, il illustre à merveille la relation maître-élève dans l’éducation humaniste, à savoir une relation basée sur le dialogue et une certaine complicité, le maître s’efface en accompagnant l’élève dans ses découvertes.
Þ Ces deux repérages nous ont permis de voir comment Rabelais développe une argumentation que se propose de présenter une formation complète, physique, intellectuelle, morale et religieuse : Ponocratès a transformé son élève en puits de science tout en soignant son corps.