CORRECTION DU DEVOIR N°2

COMMENTAIRE DE TEXTE

                Au XIXème siècle, la nouvelle présente une extraordinaire variété qui exclut toute conformité à un modèle précis : elle peut être réaliste, fantaisiste, symbolique ou fantastique. Maupassant, avec Le Horla, fait le choix du registre fantastique car il veut que « le lecteur indécis ne sache plus, perde pied comme en une eau dont le fond manque à tout instant, se raccroche brusquement au réel pour s’enfoncer tout aussitôt, et se débattre de nouveau dans une confusion pénible et enfiévrante comme un cauchemar », comme il le dit dans un article publié dans Le Gaulois le 7 octobre 1883. Dans ce passage qui raconte la soirée du 19 août, le narrateur se trouve enfin face à face avec le Horla après avoir rusé pour obtenir cette confrontation. Mais il perd ses moyens et la créature finit par lui échapper. C’est l’épisode ultime dans l’affrontement des deux personnages, le moment où s’engage la lutte à mort qui consacrera le dénouement de la nouvelle.

                Le texte est la description d’un phénomène étrange, survenu après la mise en scène d’une ruse bien « ficelée », phénomène qui nous amène à nous interroger sur un objet banal, le miroir et sur le thème du reflet.

                Tout d’abord, le narrateur, poussé par son désir d’affronter le Horla, met en place tout un stratagème, digne d’une mise en scène théâtrale.

Cette ruse n’est réalisable que parce que le narrateur connaît bien le Horla à ce moment de l’histoire. Ainsi, il a découvert le jour même l’article d’un journal, La Revue du Monde Scientifique, dans lequel il est question d’une épidémie de folie qui touche la province de San Paulo, immédiatement, il fait le rapprochement avec le trois-mâts brésilien qu’il a salué le 8 mai. Tout s’éclaire pour lui, il considère différemment tous les événements étranges qui sont survenus depuis cette date, manifestations du Horla bien sûr ! L’être invisible a enfin un nom !

Dès lors que l’ennemi est clairement identifié il va s’agir de l’éliminer pour sauver l’humanité. L’objectif sera d’autant mieux atteint que le narrateur connaît donc son ennemi comme il le dit d’entrée de jeu par la phrase : « je savais bien qu’il viendrait rôder autour de moi » avec le verbe rôder qui assimile le Horla à un rôdeur, c’est-à-dire une personne louche aux intentions douteuses.

Le piège se met alors en place au niveau des conditions matérielles. Le narrateur insiste d’abord sur la luminosité en précisant le nombre de lampes et de bougies qu’il allume (« deux lampes et les huit bougies de [sa] cheminée »), cette précision nous suggère l’idée d’un calcul non pas seulement au sens mathématique du terme mais au sens d’une préméditation intéressée : cette luminosité s’oppose à la nuit, moment où le Horla est le plus fort et le plus actif. Ensuite, il précise le cadre dans lequel va se dérouler le guet-apens : il s’agit de sa chambre, il énumère les éléments de son mobilier, caractéristiques du décor d’une maison bourgeoise. Cette présentation du décor se fait à partir de sa table de travail comme nous le montrent des indices spatiaux tels que « en face », « à droite » ou « à gauche », le décor est sommaire, chaque meuble a une place bien précise. Par l’abondance de possessifs (« mon lit », « ma cheminée », « ma porte »), on sent que le narrateur est sur son terrain, dans ce lieu intime et sécurisant que représente habituellement la chambre. Les indices spatiaux nous avaient renseignés sur la place du narrateur, il y revient en expliquant sa feinte, il fait « semblant d’écrire, pour le tromper ». En fait, cette description correspond à la période pendant laquelle le héros est en situation d’attente, il fait le guet comme il l’a dit au début du passage : « Et je le guettais avec tous mes organes surexcités. » Il ressemble à un chasseur qui attend le moment de surprendre sa proie, il se trouve donc dans la situation du dominant.

Le narrateur a donc installé les conditions matérielles

propices à la manifestation de l’autre et à l’affrontement qu’il espère.

                L’affrontement va donc se produire. L’apparition du Horla se fait brusquement ! Bien que le narrateur ait tout fait pour l’ « attirer » et le garder enfermé, il est surpris par la soudaineté du phénomène.

Dans un premier temps, il est intéressant d’étudier justement la perception du phénomène. On se rend compte de l’usage qui est fait du champ lexical du regard avec un système d’opposition entre voir et ne pas voir qui traverse le texte. La phrase, « on y voyait comme en plein jour, et je ne vis pas dans ma glace ! », illustre à merveille cette opposition en utilisant l’antithèse qui met en relief toute l’ambiguïté du phénomène et l’interrogation du lecteur quant à la réalité de l’expérience racontée, comment peut-on voir et ne pas voir en même temps ?

D’autre part, le repérage des mots appartenant au champ lexical de la vue nous mène à différencier deux perceptions présentes dans les verbes « voir » et « regarder », ainsi, le premier implique une action involontaire, une certaine passivité, le narrateur subit : « je voyais le grand verre limpide du haut en bas ». Le second, au contraire, implique une activité, une attention, presque une observation : « je regardais cela avec des yeux affolés », le fait de placer le sentiment de peur du narrateur dans ses yeux montre toute la subjectivité que peut supposer un regard, on s’interroge donc toujours sur la vérité de cette expérience.

Dans un second temps, il importe d’étudier le face-à-face. Tout d’abord, nous avons deux personnages en présence : d’une part le narrateur avec la première personne du singulier, présente dans chaque phrase quasiment, d’autre part le Horla avec l’emploi du pronom de la troisième personne du singulier pour qualifier ce rôdeur mystérieux qui jusque là laisse des traces de son passage mais ne se montre pas, d’autres termes  identifient le Horla comme « cela » ou « ce qui me cachait », démonstratifs qui soulignent le vague qui entoure l’identité du Horla. D’ailleurs, la description du Horla, ce « corps imperceptible » est très courte : « Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s’éclaircissant peu à peu ». L’expression « transparence opaque » est un oxymore, ce procédé est le seul moyen que le narrateur ait trouvé pour décrire l’inconnu.

Ensuite, ce face-à-face est d’autant plus marquant pour le lecteur que l’action est dramatisée par l’emploi de temps différents selon que l’on nous présente des actions rapides ou lentes. Ainsi, les actions rapides et brèves, soulignées par des mots tels que « soudain », « si vite » ou « tout à coup », sont signalées par l’emploi du passé simple, tandis que les actions lentes et longues sont exprimées par l’emploi de l’imparfait, temps qui ralentit l’action, allonge la scène, et d’adverbes comme « lentement » ou d’expressions telles que « de seconde en seconde » ou « peu à peu ». Cette différence évidente est en fait un leurre : le lecteur a l’impression d’une action longue alors qu’elle ne dure que quelques secondes !

Enfin, la rencontre des deux protagonistes de la nouvelle donne lieu à une lutte inégale. Ainsi, le comportement et les réactions physiques du narrateur traduisent son épouvante face à un être qui faute de corps n’a aucune réaction perceptible. Sa première réaction est la suivante : « Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. » Ce geste est présenté comme prémédité et assimilé à un élan pour étrangler le Horla, mais il s’apparente à la peur avec le déséquilibre qui rend ridicule celui qui semblait si assuré quand il disait : « j’aurai mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l’étrangler, l’écraser, le mordre, le déchirer », la gradation dans cette suite haletante de verbes violents semblait montrer l’ampleur de la colère et du désir de tuer, mais ce désir enflammé a du mal à se traduire en action… En dehors de ce geste et du champ lexical de la peur largement utilisé, l’auteur emploie de nombreux procédés syntaxiques pour illustrer cette peur panique, comme le tour elliptique (« mon image n’était pas dedans »), les répétitions, les phrases segmentées, les exclamations, procédés qui imposent un rythme haletant qui correspond bien à la respiration de la peur. De même les « et » de relance soulignent la désorganisation de la pensée, le narrateur est dominé par ses réflexes et les spasmes de la peur. Il se montre faible et impuissant quand il dit : « je n’osais plus avancer, je n’osais plus faire un mouvement ». Par opposition, le Horla semble fort et se voit doté d’un « corps » certes « imperceptible » mais qui lui permet d’apparaître comme un monstre avec le verbe « dévorer » employé à la fin du cinquième paragraphe, verbe pris au sens figuré d’ « absorber complètement », mais dont le sens premier, « manger en déchirant avec les dents », témoigne de la violence qui se dégage de cet être.

Ainsi donc, Maupassant use de tout son talent d’écrivain

pour faire ressentir à son lecteur les émotions du narrateur

face à un phénomène étrange

qui semble tout droit sorti d’un cauchemar plutôt que d’une expérience réelle.

Mais, outre les procédés de style,

l’auteur utilise un thème riche pour un tel épisode,

celui du reflet dans le miroir.

                L’existence de cette scène dépend entièrement de la présence du miroir dans la chambre.

Pour commencer, on nous présente deux descriptions opposées. Il y a d’un côté le miroir vide, le narrateur dit de sa glace qu’elle est « vide, claire, profonde, pleine de lumière », cette insistance dans la succession d’adjectifs précis renvoie à l’image traditionnelle du miroir dans une pièce éclairée. D’un autre côté, le miroir reflète deux images, ce phénomène est sans référent dans l’expérience commune, c’est pourquoi le narrateur recourt aux images pour l’exprimer. Il utilise donc la métaphore de la brume répétée à deux reprises, la seconde fois, associée à une comparaison avec l’eau, ces deux images montrent à quel point la perception du narrateur est brouillée. Plus loin, on trouve la comparaison avec la fin d’une éclipse, phénomène naturel, longtemps perçu comme mystérieux, pour marquer le retour à une situation connue.

Ensuite, connaissant l’importance des objets chez Maupassant, il faut considérer le miroir. C’est un objet banal, familier qui sert au narrateur « pour [se] raser, pour [s’]habiller, où [il a] coutume de [se] regarder, de la tête aux pieds, chaque fois qu’[il passe] devant ». Garant habituel de l’identité de la personne, il est ici révélateur de la perte de soi : « mon image n’était pas dedans… et j’étais en face de moi ! ».

Cet objet de la vie quotidienne renvoie à d’autres thèmes du double et du fantastique comme les vampires. Le vampire est un mort qui sortirait de son tombeau pour sucer le sang des vivants, cette définition correspond à la description du 4 juillet : « Cette nuit, j’ai senti quelqu’un (…) qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres ». Ici, c’est le fait que le Horla n’ait pas de reflet qui nous incite à l’assimiler à un vampire.

D’ailleurs, le thème du reflet a été utilisé par d’autres auteurs que Maupassant, on pense par exemple au roman de Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, dans lequel le reflet du peintre se charge des signes apparents du vice et de la vieillesse alors qu’il garde son visage lisse et innocent. De même Le Portrait Ovale de Poe raconte met en scène un portrait qui prend si bien les couleurs de la vie de la jeune fille qui sert de modèle qu’elle meurt quand l’œuvre du peintre est achevée. Il est intéressant de remarquer que dans ces deux œuvres, tout comme dans le Horla, le thème du reflet est associé à celui de la mort…

                Ainsi, Maupassant nous présente ici un épisode crucial pour le dénouement de sa nouvelle. Dans cette optique, il utilise tous les procédés tant stylistiques que thématiques pour toucher le lecteur :  partant de la mise en scène d’une ruse bien préparée pour nous décrire avec les yeux et l’affolement du narrateur le phénomène étrange qui survient par l’intermédiaire du miroir.

Malgré la résolution du départ, le narrateur n’a donc eu ni la volonté, ni la force de s’opposer au Horla, il est vaincu d’avance. La dernière phrase dit la peur et la folie qui se profilent derrière cela :

« L’épouvante m’en est restée, qui me fait encore frissonner. »