Extrait du Bourgeois gentilhomme de Molière, scène VI, acte II.

Monsieur Jourdain

[…] il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.

Le  Maître  de  philosophie

Fort bien.

Monsieur Jourdain

Cela sera galant, oui.

Le  Maître  de  philosophie

Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?

Monsieur Jourdain

Non, non ; point de vers.

Le  Maître  de  philosophie

Vous ne voulez que de la prose ?

Monsieur Jourdain

Non, je ne veux ni prose ni vers.

Le  Maître  de  philosophie

Il faut bien que ce soit l’un ou l’autre.

Monsieur Jourdain

Pourquoi ?

Le  Maître  de  philosophie

Par la raison, monsieur, qu’il n’y a, pour s’exprimer, que la prose ou les vers.

Monsieur Jourdain

Il n’y a que la prose ou les vers ?

Le  Maître  de  philosophie

Non, monsieur. Tout ce qui n’est point prose est vers, et tout ce qui n’est point vers est prose.

Monsieur Jourdain

Et comme l’on parle, qu’est-ce que c’est donc que cela ?

Le  Maître  de  philosophie

De la prose.

Monsieur Jourdain

Quoi ! quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?

Le  Maître  de  philosophie

Oui, monsieur

Monsieur Jourdain

Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela.